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Depollution des sols Normes et certifications

Temps de lecture : 7 minutes

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Depollution des sols Normes et certifications

Thierry Blondel, Président de l’UCIE :
“En France, trop de normes et de certifications sont élaborées dans le but de protéger un marché.”

L’Union des Consultants et Ingénieurs en Environnement, associations de professionnels créé en 2003, regroupe des ingénieurs, experts, formateurs, techniciens et consultants indépendants exerçant, notamment, dans le secteur de la dépollution des sols et des nappes: de l’ingénierie au conseil et à l’expertise scientifique, juridique et technique, en passant par les analyses et les mesures sur le terrain ou en laboratoire, ainsi que la modélisation du comportement et du transfert de polluants dans les milieux potentiellement impactés. Rencontre avec son Président-Fon-dateur, Thierry Blondel.

Comment se porte actuellement le marché des sites et sols pollués ?
Thierry Blondel: La conjoncture économique reste très difficile. C’est ce qui ressort globalement des échanges que j’ai avec des clients et des collègues. Certains secteurs de la « dépollution au sens large » se portent bien, comme par exemple la déconstruction ou le désamiantage. En revanche, le marché de la dépollution des sols « au sens strict », qui reste très concurrentiel, souffre d’une érosion régulière des budgets qui lui sont consacrés. Les collectivités, pour des raisons que nous connaissons tous, ont tendance à investir moins, tout comme les industriels qui reportent leur capacité d’investissement sur des priorités plus immédiates. Du coup, mises à part quelques opérations exceptionnelles, on ne traite en général que les « points chauds » ou les « points concentrés » de pollution.
Les opérations de dépollution sont de plus en plus ponctuelles et ciblées. Par ailleurs, la mise en place de restrictions d’usage et de surveillances freine la capacité ou la volonté des aménageurs ou des promoteurs à réoccuper ou à valoriser des terrains contraints, car « réputés à passif ». Ces terrains peuvent également générer des surcoûts importants lors de la réalisation d’aménagements, principalement liés à la gestion de terres excavées, alors que les analyses de risques résiduels après traitement des « points chauds » annonçaient pourtant la comptabilité des sols avec les usages prévus.
Avec toutes ces contraintes et incertitudes liées aux « terrains à passif », même une fois « dépollués », on comprend pourquoi les aménageurs et les promoteurs sont de plus en plus réticents à investir dans des projets immobiliers au droit de « terrains à passif », et préfèrent de loin réaliser leurs projets sur des parcelles n’ayant jamais connu d’activités (potentiellement) polluantes.

II se dit cependant que le marché pourrait repartir à l’horizon 2016 ou 2017 du fait des évolutions réglementaires récentes, notamment des dispositions contenues dans la loi ALUR. Qu’en pensez-vous ?
Thierry Blondel: Est-ce que le marché va décoller grâce aux prestations ATTES, aux études de sols et aux obligations prévues par la loi ALUR et détaillées dans le décret SIS du 26 octobre 2015 ? J’en doute un peu. Je travaille depuis de nombreuses années avec des promoteurs immobiliers et je constate que les promoteurs sérieux réalisaient déjà systématiquement des études de diagnostic de sols afin de sécuriser leurs investissements et leurs projets immobiliers, et ceci bien avant la loi. C’est la même chose pour les notaires qui ont l’obligation d’informer leurs clients sur la qualité du foncier acheté, afin d’éviter tout éventuel problème lié à des vices cachés, pouvant notamment affecter les sols sous la surface visible : ils font eux aussi très attention depuis quelques années et se couvrent en demandant quasi-systématiquement d’annexer, aux actes de cession-acquisition de foncier, des études de diagnostic des sols. En réalité, et pour une bonne part, la loi ALUR formalise des pratiques qui existaient déjà auparavant.

Comment jugez-vous l’année 2015 par rapport à 2014 ?
Thierry Blondel: Je ne vois pas d’amélioration par rapport à 2014, au contraire. Globalement, le volume d’affaires en Gestion SSP est en stagnation ou en baisse, et les prix stagnent ou baissent également, entraînant de fait une diminution globale de la qualité des prestations. La prévalence systématique du « moins-disant » est préoccupante. Dans le cadre des appels d’offres, c’est trop souvent le volet financier qui prévaut sur la technique. Et quand le volet technique est figé, les résultats sont trop souvent faussés par des pratiques qui s’apparentent à une forme de dumping: on baisse fortement les coûts lors d’une réponse à appel d’offres pour récupérer le marché, puis on les remonte ensuite, notamment par des avenants ou des compléments, une fois la concurrence éliminée.

Y a-t-il des innovations sur le terrain en matière de traitements ?
Thierry Blondel: En règle générale, on est assez frileux, en France, sur tout ce qui touche à l’innovation ou aux expérimentations en matière de traitements. D’abord pour des raisons budgétaires car la R&D coûte cher, et l’expérimentation, dans le cadre d’un plan de gestion par exemple, nécessite de dégager des budgets. Or, les donneurs d’ordres n’en ont pas ou plus les moyens actuellement. La R&D se réalise donc essentiellement en interne, et reste pour cette raison l’apanage de structures assez importantes. Pour des raisons culturelles ensuite : la France promeut depuis toujours des traitements reposant sur le tryptique « pompe-tuyau-pelle ». Le seul fait d’évoquer la biologie et a fortiori la phytoremédiation suffit à susciter une levée de boucliers des « dépollueurs classiques ». La technique progresse cependant, principalement par la volonté de clients, industriels ou collectivités, soucieux de gérer de manière optimale leurs budgets * dépollution » et de valoriser, en termes de communication, leurs actions par la mise en œuvre de traitements « bio » ou « phyto ».

Qu’en est-il dans les autres pays européens ?
Thierry Blondel: En Allemagne, au Danemark et plus généralement dans les pays du Nord, les techniques et les marchés sont plus fluides car moins contraints. Le problème de la gestion des terres excavées est symptomatique des pesanteurs et des archaïsmes qui pèsent sur le secteur en France. En Belgique ou en Hollande, par exemple, tout est fait en amont pour valoriser les terres et les recycler au maximum et ce n’est qu’en dernier recours qu’on les envoie en décharge. En France, c’est l’inverse, on leur colle le statut de déchet et on s’interroge ensuite sur leur devenir « possible », qui se résume hélas la plupart du temps par une mise en décharge à cause de contraintes administratives et réglementaires actuellement insurmontables, et souvent incompréhensibles !

 

Depollution des sols Normes et certifications

Quel regard portez-vous sur la certification LNE Service Sites et Sols Pollués (SSP) ?
Thierry Blondel : Nous militons au sein de l’UCIE, depuis notre création en 2003, pour faire émerger une reconnaissance nationale de nos métiers et de la qualité de nos prestations, notamment en Gestion SSP. J’ai participé, avec bien d’autres, à des dizaines de réunions de groupes de travail, notamment de 2009 à 2011 pour les commissions Afnor qui ont mené à la révision de la norme NFX 31-620, définies en 4 parties et codifiant notamment les prestations d’études, d’assistance, de contrôle, d’ingénierie et de travaux de dépollution. Cette norme a servi également de base à l’élaboration d’un référentiel de certification pour le LNE. Ce référentiel, qui comptait 63 pages en 2011, en compte 114 aujourd’hui; il intègre, entre autres, de nombreuses exigences d’ordre administratif ou de type ISO 9000 qui supplantent lors des audits, hélas, les vérifications techniques et de la capacité « à bien faire » pourtant en lien direct avec la qualité des prestations réalisées. Et je rappelle qu’on peut très bien être « certifié ISO 9000 » et fabriquer des parachutes en plomb…

Que reprochez-vous à ce référentiel ?
Thierry Blondel: Nous lui reprochons de créer des distorsions de concurrence sur le marché en favorisant les grosses structures intervenant en Gestion SSP au détriment des structures de taille plus humaine et également de l’expertise indépendante. Ainsi, la Direction Générale de la Prévention des Risques au Ministère de l’écologie, probablement sous l’influence de quelques « gros opérateurs », soutient que les prestations ATTES prévues dans le cadre de l’art 173 de la loi ALUR ne peuvent être réalisées que par un bureau d’études compétent donc certifié. Or, un expert ou un consultant indépendant, qui travaille seul, ne peut pas être certifié à cause de l’exigence du référentiel SSP qui veut qu’un rapport rédigé par un expert doit être validé par un superviseur. En clair, un expert avec 20 ans d’expériences en Gestion SSP ne serait, pour la DGPR, pas en mesure de faire la preuve de ses compétences pour la réalisation d’une prestation ATTES, contrairement au stagiaire ou à l’ingénieur junior d’un bureau d’études ou d’un organisme de contrôle certifié qui, lui, le pourra dès lors que son travail sera supervisé par une personne qui, par ailleurs, n’ira que rarement vérifier sur le terrain. Comme vous le voyez, nous sommes en pleine incohérence….

Que faudrait-il faire selon vous ?
Thierry Blondel: II faudrait refonder totalement le référentiel LNE-SSP et reprendre contact avec les réalités du terrain, en se passant de l’orthodoxie et du formalisme outrancier de nombreux chapitres constituant actuellement ce référentiel. En particulier, il faudrait comprendre que la qualification en Gestion SSP d’une structure doit reposer en premier lieu sur l’expérience de terrain de la personne qui réalise une prestation, qui reste irremplaçable et qui ne s’apprend ni à l’école, ni à l’université. Il faudrait également renouer avec le bon sens et le pragmatisme, et mettre fin à certaines anomalies. En France, par exemple, contrairement à ce qui se pratique en Suisse ou en Belgique, on peut à la fois réaliser des études sur un site puis réaliser les travaux de dépollution qui en découlent ! C’est possible avec le référentiel actuel, et cela peut générer bien entendu des conflits d’intérêts qui ne semblent pas poser problème à notre administration de tutelle… Autre anomalie issue du référentiel sous sa forme actuelle, un superviseur ne peut pas être chef de projet pour une même prestation, ce qui ne correspond pas à la réalité de ce que vivent les petites structures, au sein desquelles, bien souvent, le gérant est à la fois superviseur et chef de projet, ayant toute la confiance par ailleurs de ses clients, de par son expérience de plusieurs années à dizaines d’années en gestion SSP. Bref, avec le référentiel actuel, et étant donné que la certification devient par ailleurs obligatoire, il semble que tout est fait pour empêcher les petites structures et les experts ou conseils indépendants de continuer d’exercer leur métier en Gestion SSP.

Au profit de qui ?
Thierry Blondel : Je pose la question. D’autres freins sont introduits également dans le référentiel SSP au fil de ses révisions, y compris pour ce qui concerne les moyens financiers des structures demandant la certification, puisqu’il est désormais demandé aux bureaux d’études d’avoir des assurances en responsabilité civile couvrant également les travaux de sous-traitance menés, par exemple, par une entreprise de dépollution pour des tests de traitement réalisés dans le cadre d’un Plan de Gestion.
En fait, le référentiel de certification tend à vouloir imposer aux bureaux d’études d’être assurés systématiquement pour la maîtrise d’œuvre des travaux de dépollution, comme le sont la plupart des « grosses structures », alors que nombre de petites structures, et a fortiori les experts et consultants, veulent rester totalement indépendants des entreprises de dépollution, ne veulent pas faire ou réaliser de la maîtrise d’œuvre de travaux afin d’éviter tout conflit d’intérêt et pouvoir effectuer les contrôles nécessaires pendant et après chantier, pour vérifier l’atteinte des objectifs de dépollution, et également afin de pouvoir réaliser des prestations d’assistance à maîtrise d’ouvrage (AMO) en toute indépendance pour leurs clients. Par ailleurs, les consultants ou experts indépendants, ainsi que les « petites structures », ne peuvent supporter les coûts très importants associés à une assurance RC couvrant la maîtrise d’œuvre des travaux de dépollution

Que préconisez-vous ?
Thierry Blondel: En France, trop de normes et de certifications sont élaborées pour protéger un marché. Nous demandons l’instauration d’un « Smait Business Act » à la française, permettant de réserver certains types ou parts de marchés à des « petites structures », comme ce qui est en place aux États-Unis depuis 1953, permettant également le renouvellement des prestataires notamment par la création de nouvelles structures, et surtout devant permettre à la concurrence entre prestataires de s’exercer librement dans un marché « ouvert ».

Nous travaillons par ailleurs avec d’autres organismes pour essayer de bâtir une qualification équivalente dans le cadre des prestations ATTES, car il apparaît que l’équivalence à la certification SSP, telle qu’évoquée dans l’article 173 de la loi ALUR, n’a, en fait, jamais été définie… Si nous ne sommes pas entendus, nous engagerons des actions auprès des plus hautes autorités de l’Etat, voire de l’Europe. Nous n’accepterons pas, à l’UCIE, que le marché des sites et sols pollués devienne un marché réservé à quelques grosses structures, ayant une bonne assise financière et de nombreuses représentations au niveau national, par une certification discriminante, très coûteuse, comportant de nombreuses contraintes purement administratives voire anti-concurrentielles, minimisant, lois des audits, l’expérience et la réelle capacité « à bien faire » des prestataires en Gestion SSP tout en insistant sur de nombreux critères relevant d’un formalisme exagéré, et s’agissant par ailleurs d’une certification sans « équivalence » possible, Ou actuellement « acceptée » par l’organisme certificateur et l’administration de tutelle.

En conclusion, je rappellerai à toutes fins utiles que la libre concurrence et la liberté d’entreprendre sont, dans une société moderne et démocratique, des fondements qui participent aux changements, au progrès et à l’innovation.
Et enfin, plus généralement, je dirai que notre association de professionnels indépendants – UCIE – se pose ici également en « lanceur d’alerte », en disant notamment qu’il faut éviter que le formalisme de la bureaucratie, notamment pour nos métiers et prestations en Gestion SSP, n’entraîne dans un proche avenir une lourdeur et une rigidité de l’action administrative, voire une monopolisation du pouvoir décisionnaire au profit des seuls intérêts de certains.

Propos recueillis par Vincent Johanet / HORS SÉRIE ÉTUDES DE MARCHÉS – L’EAU, L’INDUSTRIE, LES NUISANCES

 

L’UCIE – L’Union des Consultants et Ingénieurs en Environnement.

 

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